L’initiative pour des multinationales responsables, Suisse – Explication de certains concepts juridiques


Au cœur des débats actuels en Suisse concernant l’initiative pour des multinationales responsables se trouvent certains concepts juridiques qui posent problème à la plupart des jeunes étudiant·e·s en droit…c’était du moins mon cas. J’ai donc pensé qu’il pouvait être intéressant de les expliciter ici, car ils sont directement liés à la discussion en cours sur la prochaine votation.


Le droit de la responsabilité civile et autres concepts juridiques
Parlons donc du droit de la responsabilité civile, de la responsabilité contractuelle, de la responsabilité pour faute, de la responsabilité du fait d’autrui, du fardeau de la preuve et encore du renversement du fardeau de la preuve…j’espère que vous me suivez! 

Les concepts en question concernent la responsabilité des individus ou des entreprises pour avoir causé des dommages à autrui. Mon cours “Introduction à la responsabilité civile” à l’University College de Dublin nous a permis de comprendre qui et pourquoi les gens sont responsables des dommages causés à autrui. Nous avons examiné différents types de responsabilité :

  • La responsabilité contractuelle qui résulte d’un accord/contrat conclu et la responsabilité lorsque les termes de cet accord ne sont pas respectés. Dans ce cas, la personne qui ne respecte pas l’accord est responsable de la réparation des dommages causés.
  • La responsabilité fondée sur la faute, lorsque le dommage est causé par la négligence, le manque de soin et d’attention d’une autre personne. Dans ce cas, le dommage doit être prouvé, la causalité établie, et la partie lésée doit alors être indemnisée.
  • La responsabilité du fait d’autrui se produit quant à elle lorsque certaines personnes ou organisations sont responsables de dommages causés à d’autres, non pas parce qu’elles ont violé un contrat, ni parce qu’elles ont commis une faute et qu’une autre personne a été blessée, mais simplement en raison de leur identité. Citons par exemple la responsabilité des employeurs pour les actes de leurs employé·e·s, la responsabilité des propriétaires pour leurs biens, la responsabilité des parents pour leurs enfants, leurs animaux, etc. Dans les cas où la responsabilité du fait d’autrui est invoquée à l’encontre des employeurs, la personne lésée doit établir que la personne accusée de la faute est l’employeur, que les actes des employé·e·s ont causé un préjudice et l’employeur doit prouver qu’il a mis en place tout ce qui était nécessaire pour permettre à l’employé·e de faire son travail correctement. Dans ce cas, le fardeau de la preuve est automatiquement attribué à l’employeur en raison de son statut, tout simplement ! Gardez bien cette idée à l’esprit.

Fardeau de la preuve et renversement du fardeau
La Suisse a un système de droit civil et les différentes catégories de responsabilité se trouvent dans le Code suisse des obligations. Une analyse des affaires pénales et civiles permet de comprendre qu’au civil, les demandeurs doivent prouver les faits qu’ils allèguent selon la “prépondérance des probabilités”, alors qu’au pénal, la norme du fardeau de la preuve est beaucoup plus élevée et les faits doivent être prouvés « au-delà de tout doute raisonnable » (vous vous souvenez de l’affaire OJ Simpson?).
Un autre concept juridique concerne le « renversement du fardeau de la preuve » et il est également important de le comprendre en ce qui concerne les différents exemples donnés ci-dessus. Dans le cas de la responsabilité pour faute, le fardeau de la preuve incombe au demandeur, qui doit démontrer que l’autre partie a été négligente et responsable des dommages subis. Lorsque cela est prouvé, le fardeau de la preuve peut être renversé.
En revanche, dans les cas de responsabilité indirecte, le demandeur poursuit le défendeur sur la base de son identité (employeur, propriétaire d’animaux ou de biens) et le défendeur doit prouver qu’il a pris les mesures nécessaires pour éviter les dommages causés.


La Suisse et le Code des obligations suisse
Ici en Suisse, la responsabilité du fait d’autrui se trouve dans différents articles du Code suisse des obligations: article 55 – responsabilité de l’employeur; article 56 – responsabilité du détenteur d’animaux pour leurs animaux de compagnie.
Article 58 – la responsabilité du propriétaire d’un bien pour les dommages causés par un manque d’entretien ou un problème de construction, et la responsabilité des parents pour les actions de leurs enfants. Et c’est la responsabilité du fait d’autrui qui fait l’objet de discussions dans le cadre de l’initiative pour des multinationales responsables, d’où mon insistance sur la compréhension des concepts juridiques.
L’article 55 al.1 du CO stipule que « l’employeur est responsable du dommage causé par ses travailleurs ou ses autres auxiliaires dans l’accomplissement de leur travail, s’il ne prouve qu’il a pris tous les soins commandés par les circonstances pour détourner un dommage de ce genre ou que sa diligence n’eût pas empêché le dommage de se produire », ce qui est compréhensible.
L’article 55 al. 1 du CO concerne la responsabilité objective d’un mandant, tel qu’un employeur, pour les dommages causés par son mandataire et selon Nicolas Bueno « malgré la formulation étroite de l’article 55 al. 1 du CO, l’opinion majoritaire considère qu’un lien de subordination peut exister entre deux entités juridiques, tel que connu dans d’autres pays. Plusieurs auteurs font donc valoir que l’article 55 al. 1 du CO englobe déjà la responsabilité des entreprises pour les dommages causés par d’autres sociétés sous leur contrôle, notamment les filiales d’un groupe de sociétés ». Dans tous les cas, que tout le monde soit d’accord avec cet argument ou pas, il est de toute manière évident qu’en Suisse la responsabilité d’un employeur est claire: il est responsable juste en raison de ce qu’il est. En ce qui concerne la preuve requise, il incombe à l’employeur de démontrer qu’il a fait tout ce qui était nécessaire pour éviter que le dommage ultérieur ne se produise.


L’initiative pour des multinationales responsables – la responsabilité des entreprises


L’initiative pour des multinationales responsables souhaite ajouter l’article 101a à la Constitution suisse sous le titre « Responsabilité des entreprises » et, conformément à l’article 55 du CO, l’intention est de garantir que les entreprises sont responsables des dommages causés par elles-mêmes et par les personnes sous leur contrôle, sauf si elles peuvent prouver qu’elles ont pris toutes les précautions nécessaires pour éviter le dommage, ou que le dommage se serait produit même si toutes les précautions nécessaires avaient été prises. Il est également important de noter qu’un oui à la votation permettrait aux victimes de violations des droits humains ou de la législation environnementale de porter leur cas devant les tribunaux civils suisses, mais les employeurs/défendeurs ne peuvent pas être traduits devant les tribunaux pénaux pour répondre de leurs actes.

Une solution modérée


Ainsi, si cette initiative est couronnée de succès, la Suisse prendra sa place parmi les nombreux autres gouvernements responsables qui tentent d’assurer un meilleur comportement de la part de leurs entreprises mondiales. Et comme l’a déclaré le professeur Franz Werro de l’Université de Fribourg dans son article « L’initiative pour des multinationales responsables et son contre-projet », « l’application de la responsabilité des mandants aux relations entre groupes d’entreprises pour les actes répréhensibles de leurs filiales s’inscrit dans une tendance nationale et internationale claire. Aucun des deux projets n’étend les paramètres de responsabilité applicables ; au contraire, ils se contentent de les concrétiser, voire de limiter la portée potentielle de la responsabilité délictuelle en exigeant des violations des droits humains ou de la législation environnementale. La règle de responsabilité ancrée est donc en fait assez modeste, voire timide ». Il a ajouté : « En plus de donner au défendeur la possibilité d’échapper à sa responsabilité en apportant une preuve à décharge – tout comme l’art 55 du Code des obligations – la règle n’impose la responsabilité des sociétés mères que pour les fautes commises par les filiales qu’elles contrôlent effectivement. Par rapport à l’évolution internationale, la Suisse a donc opté pour une solution modérée”.
VEUILLEZ NOTER : De nombreuses discussions sont en cours en ce qui concerne le droit comparé et le droit de la responsabilité civile comparé. Le monde dans lequel les affaires se déroulent est un monde global, de sorte que la clarté dans les pays où les entreprises opèrent au niveau mondial est essentielle pour garantir un monde juste pour toutes et tous. C’est pourquoi un oui à l’initiative pour des multinationales responsables est vital.

https://www.nzz.ch/meinung/konzernverantwortung-eine-nuechterne-wuerdigung-ld.1586853?reduced=true

Traduction: Lise Cordey – Original article

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